Cette sentence a été bien oubliée, telle est la leçon que l'on peut tirer de l'article publié par Marc Dufumier dans "Télérama"n°3144 du 17 au 23 avril, déjà commenté ici. Précisons que l'auteur n' a rien d'un quelconque "baba" : il est le successeur de René Dumont à la chaire "Agronomie comparée et développement" de l'I.N.A. Paris-Grignon, formateur de nos futures élites agronomiques.
Dufumier a beau jeu de rappeler les dégâts de l'agriculture intensive : pollutions généralisées, gaspillage et dégradation des ressources en eau, moindre qualité des produits, appauvrissement des sols (absence de restitution de la matière organique, abus de pesticides et d'engrais, labours trop profonds,etc), tout ceci pour aboutir à la désertification des campagnes et à la ruine d'innombrables exploitations agricoles ( plus de1,5million ont disparu en 40 ans). Tout ceci pour le bénéfice exclusif de quelques grands céréaliers et sucriers du Bassin Parisien, gavés des subventions de Bruxelles, de ce qu'on appelle l'agro-industrie et la grande distribution.
Un exemple ? Citons Dufumier : " Quand on veut faire épiler des canards par des robots, il faut que les canards naissent tous identiques,donc clonés, il leur faut la même alimentation, qu'ils soient apportés le même jour à l'abattoir qui ne peut les traiter que d'une seule et même façon".
Nous avons été les témoins, durant ces "Trente Glorieuses" (pas si glorieuses que ça, finalement) de l'application avec laquelle les chercheurs se sont efforcés, chacun dans son secteur et sans aucun état d'âme, d'atteindre des objectifs soigneusement cachés par ceux qui se proposaient d'en profiter.
Grâce aux travaux des zootechniciens, par exemple, on a élevé la production moyenne d'une vache (qui allait de 1000 à 3 ou 4000 kg de lait par an avant guerre à plus de 10 000kg aujourd'hui. En contrepartie, ce lait est pauvre, sans goût, traité (et maltraité de mille façons) et l'éleveur, qui, avec 100 ou 150 vaches, gagne moins que le S.M.I.C. a endetté sa famille pour des générations. Mais Nestlé se porte bien.
Autre incidente : quand le bon sens paysan (la Pratique, Monsieur !) avait, au fil des siècles, réussi à "fabriquer" la race la mieux adaptée au climat et aux aux ressources locales - c'est-à- dire, en fait, la plus "productive" pour lui, on en est arrivé à imposer partout le même "modèle d'animal" auquel on demande la plus forte croissance (production de viande), au détriment de sa rusticité (aptitude à supporter des conditions de pénurie), le même modèle d'habitat, bref, à produire plus cher partout. Dans les années 60, on appelait ça "le Progrès Technique".
Dans le même temps, les brebis du nord de l'Ecosse, n'ont jamais vu une bergerie), ce qui permet à l'agneau britannique d'être moins cher que le nôtre. Et ne parlons pas de l'agneau néo-zélandais (qui ne mange que de l'herbe et passe sa vie en plein air... mais qu'il faut,il est vrai congeler et transporter à grands frais d'énergie depuis les antipodes).
Tout cela, parce que pendant trop longtemps, la Recherche a refusé qu'on essaye d'aborder les problèmes d'un point de vue plus global, tant soit peu synthétique et qu'on se préoccupe de ce que les militaires appellent maintenant sans vergogne "les dégâts collatéraux". Dans ces conditions, rendons hommage à la lucidité (et au courage) de ce chercheur-professeur que le "modèle unique" préoccupe au plus haut point et qui ne voit d'autre avenir pour ceux qu'on n'ose plus appeler "paysans" (ils ont tellement revendiqué d'être, eux aussi, des "producteurs" !)que dans une élévation de la qualité de leurs produits et dans la diversité des productions. À supposer que ce soit maintenant l'aspiration d'un ombre croissant de consommateurs, sinon celle de Mac Do.
Discours de chevelu, d'écolo ? Propos politique ? Assurément.