mercredi 3 mars 2010

Hérédia

 

 

 

Moissons

 

 

Un long cheminement noir barre d’un trait le chemin de poussière.

 A la fin du printemps, le grain des graminées est mûr et fragile à la fois. La dernière averse d’orage et le coup de vent du nord qui l’a brutalement chassée ont précipité au sol les enveloppes sèches de la folle avoine. Quelques jours encore et tout sera piétiné, dissous, englouti  dans l’humus renouvelé de la prairie. Les fourmis le savent, elles n’ont attendu que la pointe du jour pour ouvrir le grand chantier de l’année. Hier pourtant, passant ici, on n’y avait vu personne.

L’oeil qui d’abord se perdait dans un grouillement infinitésimal a bientôt reconnu deux colonnes distinctes, l’une qui se hâte vers les granges souterraines et l’autre qui part aux champs. De minuscules arrêts interrompent régulièrement la marche pressée de chaque insecte, le temps d’un mystérieux échange  avec celui qui s’avance vers lui, du même pas. Le cheminement se trouve ainsi constamment haché et dévié, sans que pour autant, vue d’en haut, la ligne noire de l’armée perde rien de sa rectitude. La charge qu’on croit énorme pour chacun, et longue jusqu’à la démesure, semble ne jamais  peser. Brandie au-dessus des têtes, elle avance continûment comme si c’était elle qui entraînait le petit grain noir.

Le passant  a  choisi l’un de ceux-ci pour la taille particulièrement remarquable de l’épillet qu’il traîne, prêt à rire des efforts qu’il devra faire au moment de se glisser dans le minuscule orifice où la foule se presse. De fait, quelques pas malhabiles trahissent un certain embarras et déjà l’on s’amuse, le temps de comprendre que c’est à reculons que l’insecte a choisi de descendre l’invisible escalier, tandis que la pointe de l’oriflamme herbacé s’agite une dernière fois à l’air libre.

Autour du gros pied de mauve qui abrite l’entrée du souterrain, le piétinement  des moissonneuses a visiblement tassé le sol, mais le long chemin qui en sort s’efface lentement à mesure qu’on s’éloigne avant de se dissoudre dans l’infinité de la prairie, comme on voit, en survolant un plateau désertique  s’effacer bientôt dans les sables environnants le fin réseau  de routes qui sort de la ville. Il ne reste qu’à choisir, laisser la pensée s’égarer en une interminable et dérisoire comparaison, ou bien, du haut du regard, admirer librement le suintement léger des légions en marche.

 

1 commentaire:

  1. Oh les graminées !
    Il y en a des pires, dont les épillets remontent tous seuls quand on les pose sur le bras. Il y a aussi ces vilains petits harpons qui peuvent aussi de fourrer dans le coin d'un oeil de chat ou de chien...
    Je n'aime pas du tout ces folles avoines qui colonisent à tout crin les coins de terrains non, ou mal entretenus...
    Ah mais perlez moi de ces si douces, fines et délicates brises intermédiaires, de celles qui dont les petites perles flottent juste au dessus d'une pelouse de montagne de Lozère.

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