Et qui de plus paisible que le pêcheur qui vient d'amarrer son bateau à deux mètres du bord, refusant toute velléité de départ, toute dérive, n'attendant d'autre surprise que celles venant du fond de l'étang., qui fleuriront ce soir le fond d'un panier d'osier.
Ici, point de bottes guerrières grimpant à mi-jambe, de mouches artificielles, de moulinets savants. La pêche en étang est simple. Et plutôt reposante. On n'y poursuit aucun gibier, aucune proie. L'infime ver de mouche ou un grain de blé cuit suffisent à garnir l'hameçon. Toute la science du pêcheur se borne à ménager une longueur de fil telle que l'appât se trouve à portée de la bouche du poisson. En surface, si l'on veut une ablette, à mi-profondeur si l'on préfère le gardon, tout au fond du lit de la rivière si l'on espère une carpe ou une brême, rudes combattants à la chair par trop médiocre.
La plume s'incline à peine, le poisson ne fait que goûter du bout des lèvres, suce à peine le ver, c'est une ablette seule. Elle n'a voulu que visiter votre profil sur l'écran lumineux du ciel. Reviendra-t-elle ? Rien de sûr. Huit jours plus tard, peut-être. Peut-être jamais. Il n'est pas nécessaire de répondre. Patienter. Voir venir. Au moment de la Saint Valentin, les ablettes reviendront en foule, suceront le ver à tour de rôle, puis repartiront comme autant d'éclairs argentés, du moins l'imagine-t-on. Et ce sera le désert jusqu'à la fête des grands-mères.
Il ne se sera rien passé.
Mais cette fois, l'attaque est franche, nette, la plume s'est enfoncée de vingt centimètres sous l'eau sans qu'on n'ait rien vu venir. C'est un gardon qui, honnêtement, clairement, avoue avoir flashé sur votre grain de blé cuit. Il faut lui répondre. Bon poisson, bon compagnon, bonne friture. La politesse est de le ferrer vivement, promptement. Pour le voir de plus près. L'avenir fera le reste.
La pêche s'arrête à midi. Les poissons font la sieste. Du fond de la barque où il somnole, le pêcheur entend les bulles venant du fond des eaux qui éclatent doucement à la surface. Il entr'aperçoit le vol erratique de la libellule bleue et celui, furtif et vigoureux du pipit farlouse, partant se perdre dans la roselière.
La vie reprendra en fin d'après-midi et ce sera un grand moment lorsque l'on verra la plume s'enfoncer et fuir loin , très loin du bateau. Petite ou grosse, sûre d'elle, vaillante, la carpe attaque toujours de la même façon. Gourmande, elle a engamé puis avalé définitivement le ver ou le grain et parcouru d'infinies et lointaines circonvolutions pour fuir l'homme, avant de reconnaître sa défaite. Prudent, attentif - respectueux, pourrait-on dire - il convient que l'homme accorde à sa prisonnière toute la longueur de fil nécessaire, sachant que toute précipitation, toute violence ne conduirait qu'à briser le fil qui les unit : risque mortel pour l'une, regret inguérissable pour l'autre. Jusqu'à ce que, fatiguée, vaincue par son propre désir, la carpe consente enfin à revenir près de la barque. Le pêcheur la couchera alors dans l'épuisette et, lentement, tendrement, il travaillera à retirer l'hameçon. Selon l'adresse et la patience qu'il y mettra, ce sera la mort ou une autre vie qui commencera.
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